Bistrot de Venise, à la découverte de la cuisine vénitienne du Moyen-Âge à la Renaissance...
Si vous allez à Venise, vous vous rendrez rapidement compte qu'il est très difficile de dénicher une restaurant de qualité, non formaté pour les touristes. Il faut dire qu'avec plus de 20 millions de touristes par an pour une population de seulement 60 000 habitants, les restaurateurs sont contraints et forcés de s'adapter à ce flux de visiteurs aux demandes et envies très éclectiques. Alors que la très grande majorité des restaurateurs de la ville ont adapté leurs cartes à ces désidératas, certaines tables ont réussi néanmoins à tirer leur épingle du jeu en proposant une cuisine authentique et de qualité, qui fait la part belle à la gastronomie atypique de Venise et aux produits locaux. C'est le cas notamment du Bistrot de Venise (en français dans le texte) qui se différencie des autres tables de la ville en proposant en partie une cuisine historique vénitienne inspirée des recettes du XIVe au XVIIIe siècle.
Ouverte en 1993, à quelques minutes de la Place Saint-Marc, cette table est bien plus qu'un bistrot. C'est à la fois un restaurant, un bar à vin et un lieu de rencontres culturelles et artistiques avec une programmation d'événements assez variée : dégustations, café littéraire, expositions de peinture et de photographies, poésie... Passionné par la culture, l'histoire et la gastronomie de la Cité des Doges, le propriétaire des lieux Sergio Fragiacomo (également propriétaire à Venise de la pizzéria Da Mamo, du pub Devil's Forest Pub et des Hôtels Al Gambero et Antica Locanda Sturion) a lancé en 1999 un programme de recherche sur les vins rares et la gastronomie vénitienne du Moyen-Âge et de la renaissance, avec le soutien de Marcello Brusegan, auteur du livre "La Cucina Venezia" et consultant en histoire de la gastronomie, et de son Chef de l'époque Ivano Frezza. Les épices, les agrumes et les produits de la mer sont au coeur de cette histoire avec des plats qui proposaient très souvent des saveurs aigres douces, voire carrément sucrées !
Le lieu est quant à lui très agréable avec une salle au charme un tantinet desuet qui cadre plutôt bien avec le musée à ciel ouvert qu'est Venise et une belle terrasse qui s'étend dans une petite ruelle à l'abri des touristes. L'accueil et le service sont très professionnels avec une mention toute particulière au sommelier qui saura parfaitement vous guider dans l'association mets/vins avec une carte proposant plus de 200 références, dont plus d'une cinquantaine au verre. Cette carte propose une majorité de vins provenant de Vénétie, du Frioul et des bords de l'Adriatique, dont plusieurs vins très rares dénichés directement chez de petits producteurs. Cette carte fait notamment partie de "La Carta delle Carte Ambasciatore del Vino" de l'Enoteca Italiana qui la classe ainsi dans les 30 meilleurs cartes des vins en Italie.
Pour revenir à la cuisine, le Chef Mario Missese et ses équipes proposent en plus des recettes historiques de la Cité des Doges, des plats issus de la gastronomie contemporaine vénitienne et italienne. Vous trouverez pour déjeuner un menu à 35€ (2 plats et un dessert) avec par exemple au choix des gnocchis, crevettes, aubergines et tomate; des spaghetti à l'encre de seiche mais aussi un carpaccio de boeuf, ricotta fumée et sorbet de cèpes ou un filet de thon à la tomate et au basilic et un dessert du jour. Le Bistrot de Venise propose aussi un menu dégustation qui mélange des plats historiques et d'autres plus contemporains (48€ - 2 plats et un dessert) ainsi qu'un menu dégustation (90€ - 4 plats et un dessert).
La carte historique propose des plats qui vous renverront plus de 500 ans dans le passé avec en primi piatti :
- Menestra de Fenochi (16€ - recette de G.C.Tirelli, XVIIème siècle) : il s'agit d'une soupe de fenouil avec des raisins blancs, du fromage frais, des pignons de pin et de la cannelle.
- Raffioli de herbe (20€ - Cuisinier anonyme du XIVème siècle) : des raviolis maison au fromage "Piazentin", aux herbes et épices douces.
- Torta de gambari... Vantagiat (22€ - Cuisinier anonyme du XIVème siècle) : pâte aux oeufs aux crevettes, raisins, chou de Milan, lait d'amande et épices douces.
En plat principal :
- Baccala in Sapor Fior de Ginestra (26€ - Chef Martino - XVème siècle) : morue aux amandes, sauce au gingemnre et safran, ail doux et fruits des bois.
- Bisato in ara (26€ - plat de la tradition populaire - XIVème siècle) : anguille rôtie, au laurier, à la cannelle et au poivre noir.
- Anara Pevarada con Tortin (26€ - Chef Bartolomeo Scappi - XVIème siècle) : canard sauce Pevarada pommes sauvages et oignons rouges.
Les desserts :
- Torta Biancha Reale (Chef Scappi - XVIème siècle) : gâteau à la ricotta, gingembre, pétales de rose caramélisés et eau de rose et coulis de safran
- Sambughado (cuisinier anonyme - XIVème siècle) : mousse de fleurs de sureau, biscuit aux amandes, gelée et sorbet de sureau
- Crema rosada (Chef Goldoni, XVIIIème siècle) : crème brulée à l'ancienne à l'orange et sorbet au romarin
Sur la carte contemporaine, vous trouverez 6 entrées au choix (entre 18€ et 28€), autour de produits de la mer à l'exception du carpaccio de boeuf et d'une entrée végétarienne. En primi piatti (1er plat), des pâtes et risotto là encore très maritimes avec notamment d'appétissants spaghetti aux langoustines à la carbonara (entre 18€ et 26€). En plat principal (24€ à 34€), des crevettes en tempura d'amande, un tartare de boeuf et boeuf grillé au vin Amarone, de l'agneau au four aux herbes et purée de pommes de terre fumées, des langoustines et sole in saor, un poisson du jour (au poids : 8€/100g)...
Concernant les desserts, vous pourrez choisir parmi une crème vanille et miel, mangue, crème au yaourt et amandes; des raviolis d'ananas farcis à la banane et à la noix de coco et coulis de fraises; une soupe de fruits des bois et meringue au citron et fraises; une truffe gianduja, coulis de groseille, sorbet abricot et noisettes ou un tiramisu maison selon la recette originale de Trévise.
Dégustation en photos...
Nous avons commencé par une mise en bouche classique mais rafraîchissante avec un saumon mariné, ricotta et huile de basilic.
Raffioli de herbe (20€ - Cuisinier anonyme du XIVème siècle) : il s'agit de raviolis maison au fromage "Piazentin", aux herbes et épices douces. Les raviolis fermes et fondants sont accompagnés d'une sauce au safran, au gingembre, au beurre et à l'estragon qui développe de jolis parfums et des saveurs sucrées et épicées. Les copeaux de ricotta fumée apportent un peu de caractère. Une très belle entrée en matière.
J'ai accompagné ce 1er plat d'un vin de Lombardie du Domaine Ca dei Fraiti, Lugana I Frati 2012 (6€/verre), un vin blanc sec, frais et léger (cépage Turbiana) qui développe des notes florales, de citron et de pêche.
Torta de gambari... Vantagiat (22€ - Cuisinier anonyme du XIVème siècle) : il s'agit de pâtes aux oeufs et aux amandes accompagnées de crevettes, de raisins blanc frais, de chou de Milan, d'un lait d'amande et d'épices douces. Mon grand coup de coeur de la soirée pour ce plat qui est presque un dessert tant le sucré s'impose ! Une tuerie !!!!
Bisato in ara (26€ - plat de la tradition populaire - XIVème siècle) : il s'agit d'une anguille rôtie, au laurier, à la cannelle et au poivre noir. L'anguille est vraiment un poisson particulier de part sa texture et ses saveurs. Un peu trop particulier pour moi surtout avec des parfums de laurier très marqués ! Pour les amateurs d'anguille !
Anara Pevarada con Tortin (26€ - Chef Bartolomeo Scappi - XVIème siècle) : un filet de canard accompagné d'une sauce "Pevarada", de pommes sauvages, de raisins, d'oignons rouges confits et de cannelle. Cuit très correctement, le canard gouteux est associé à une sauce à base d'abats (foies de poulet et de canard) assez puissante en goût, qui donne du caractère à ce plat rustique qui délivre là encore des notes sucrées avec le raisin, la pomme et les oignons confits.
Sur les conseils du sommelier, j'ai accompagné ce plat d'un vin rouge de Vénétie de chez Martino Zanetti (Case Bianche), un Tenuta Col Sandago Wildbacher 2007 (10€/verre), provenant d'un cépage autrichien, le Blauer Wildbacher (il n'y a que 2 vins italiens qui exploitent ce cépage). Parfait pour accompagner des viandes rouges notamment avec ses parfums d'épices et ses arômes de baies sauvages et de mûres.
Pour terminer ce dîner, j'ai voulu découvrir ce qui était annoncé comme un tiramisu maison selon la recette originale de Trévise. En effet, si plusieurs légendes installent le tiramisu dès le XVIème siècle, son absence des livres de recettes avant les années 70 en fait plutôt une recette contemporaine qui aurait en fait été créée par un restaurant de Trévise en 1971. C'est de cette recette qu'est tiré le tiramisu proposé par le Bistrot de Venise. Crémeuse, onctueuse et assez légère, cette version agrémentée de petits cubes de gelée de café (très amers) et de petits macarons au café est intéressante sans pour autant casser 3 pattes à un canard !
Le repas s'est terminé avec le service de quelques mignardises : biscuit, brownie, gâteau aux amandes et chocolat/caramel.
Mon avis : un joli voyage gastronomique à travers le temps, avec la découverte de recettes d'antan où épices et saveurs sucrées s'imposent. Le service et l'accueil sont très professionnels et le rapport qualité-prix convenable pour découvrir tout un pan de l'histoire gastronomique de Venise. Il est fortement conseillé de réserver, notamment le soir, pour découvrir cette table distinguée par 2 fourchettes sur le Guide Michelin 2013.
Bistrot de Venise
Calle dei Fabbri, San Marco 4685, 30124 Venise
Le restaurant est ouvert tous les jours de 12h à 15h et de 19h à 00h et le bar à vin de 10h à 00h
http://www.bistrotdevenise.com