La Dame de Pic*
La gastronomie française a été marquée depuis plus d'un siècle par plusieurs dynasties familiales qui ont su à travers plusieurs générations faire le lien entre tradition et ouverture nécessaire sur le monde et les évolutions de la gastronomie. Parmi les plus célèbres familles, on retrouve les Troisgros, les Blanc, les Darroze ou encore la famille Pic, représentée aujourd'hui par l'illustre Anne-Sophie, qui est actuellement la seule femme triplement étoilée en France (depuis 2007).
Si l'historique Maison Pic est basée à Valence (3*), Anne-Sophie aura attendu 2009 pour exprimer son talent hors de la maison familiale en prenant en charge la table du Beau Rivage Palace de Lausanne (2*), avant d'ouvrir en septembre 2012 son 1er établissement parisien, La Dame de Pic, qui vient tout juste de recevoir son 1er macaron Michelin, et que j'ai eu le plaisir de découvrir lors d'un dîner avec mon couple d'amis "gastro-diaboliques" Isabelle et Edouard.
La Dame de Pic (vue de l'extérieur)
Installée rue du Louvre, La Dame de Pic se positionne comme l'antichambre de Valence, qui reste et restera le lieu où Anne-Sophie Pic laissera libre court à toute sa créativité. Les plats proposés à Paris s'inspirent de ceux de Valence mais dans une version "bistrotière" tout en conservant la base de la cuisine du Chef et notamment l'accord des saveurs. Cette nouvelle table, qui a mis en ébullition le microcosme gastronomique parisien à son ouverture, s'est développée autour d'un concept "gastro-olfactif" - élaboré avec le parfumeur Philippe Bousseton - avec une volonté affichée de la propriétaire des lieux d'éveiller les sens et de faire "respirer sa cuisine".
La carte, qui évolue tous les 2 mois en fonction des produits de saison, présente plusieurs menus (entrée, poisson, viande, dessert et avec supplément de 12€ une assiette de fromages) autour de parfums avec "vanille ambrée" (79€), "iode et fleurs" (100€), "sous bois épices" (120€) et un menu de saison "truffe capiteuse" (149€).
Lors du service, les convives sont invités à sélectionner leur menu en fonction de languettes parfumées ! L'idée est originale même si les senteurs me paraissent tout de même assez éloignées de choses comestibles et que le choix fini par se faire plutôt par l'intérêt que l'on peut porter à la lecture des plats. Les rênes de la cuisine ont été confiées au jeune Chef alsacien Xavier Jarry (entouré d'un sous-chef et de 3 commis) qui élabore des plats "made in Pic" dans une cuisine visible de l'extérieur, de l'entrée et de la salle. Il tâche de perpétuer la cuisine d'Anne-Sophie, chargée d'émotion, d'audace et de délicatesse, non sans quelques accrocs (avis totalement subjectif qui m'est propre!).
La déco, signée Bruno Borrione, se veut baroque et contemporaine avec une belle salle qui accueille une cinquantaine de couverts dans un univers d'un blanc immaculé qui évoque la douceur, la finesse et l'épure cuisine d'Anne-Sophie. Le mobilier, avec de superbes sièges en cuir marron, est magnifique alors que de superbes tableaux de cuir blanc avec motifs floraux en relief habillent les murs de briques blanches.
Dégustation en photos...
Isabelle et moi sommes partis sur le menu "Sous-bois et épices" (120€) alors qu'Edouard a choisi "Iode et fleurs" (100€).
Nous avons accompagné notre dîner d'une bouteille d'un vin de Provence, un Château Simone Palette Blanc 2004 de chez René Rougier avec des notes florales et épicées assez sympas, assez cher tout de même à 87€ la bouteille.
J'ai commencé avec les Berlingots, chèvre frais fumé, champignons des bois, fève tonka. Un plat superbe dans le design de l'assiette et dans l'association de saveurs qui collent à merveille avec l'intitulé du menu. Visuellement, la composition nous renvoie à un paysage de sous-bois avec des berlingots verts constitués à partir d'une pâte à ravioles au thé Matcha qui renferment une farce de chèvre et de mascarpone, douce, onctueuse et crémeuse. Ces berlingots nagent dans une émulsion à la fève tonka et au poivre Voatsiperifery (qu'Anne-Sophie Pic apprécie particulièrement, autant dans ses plats que dans des desserts au chocolat), subtilement parfumée, entourés d'une fricassée de cèpes, mousserons et girolles et de quelques feuilles de réglisse sauvage. A la fois aérien et brut, ce plat offre un beau jeu de textures et des parfums incroyables. L'association des saveurs créait un ensemble subtil et puissant. Ce plat chargé de volupté est une merveille... mon coup de coeur de la soirée !
Edouard a débuté de son côté avec l'huître spéciale Gillardeau n°3, chou-fleur et jasmin. L'huître coupée en morceaux est prise dans une gelée froide, saupoudrée d'un petit crumble de panure et de lard de colonnata, autour d'une crème de chou-fleur très légèrement parfumée au jasmin. Petite déception pour Edouard pour qui le goût iodé de l'huître est finalement trop discret et le chou-fleur trop présent !
J'ai poursuivi avec la Saint-Jacques normande, pomme Granny Smith, anis vert et céleri. La cuisson des Saint-Jacques est parfaite. Le céleri, avec ses notes anisées, est très présent, sous la forme de purée et de bâtonnets de céleri branche. Le jus de Granny Smith, versé lors du service, apporte un côté acidulé et frais qui s'associe à merveille avec le céleri et les Saint-Jacques. Un joli plat plein de fraîcheur et de légèreté.
Edouard a eu droit au rouget de Méditerranée, poireaux, thé Matcha. Un plat très esthétique avec la puissance du rouget qui se mèle à la douceur du poireau en bâtonnets et dans une crème légèrement parfumée au thé Matcha.
Le dîner s'est poursuivi pour moi avec le chevreuil, pamplemousse rose et baies de genièvre. Servi avec une magnifique purée lisse et onctueuse, le chevreuil parfaitement cuit est servi avec un jus de cuisson goûtu et des morceaux de pamplemousse confit. Dommage à mon goût que le pamplemousse soit si amer ! Petite déception malgré une superbe viande.
Edouard a eu droit quant à lui à la poularde fermière, couteaux, épinards et fleurs d'oranger. Un mariage terre-mer astucieux avec une volaille de Bresse délicate et moelleuse, un bel assaisonnement et des morceaux de couteaux aux saveurs doucement iodées.
Isabelle et Edouard ont choisi de prendre l'assiette de fromages (supplément 12€) avec du Comté 12 mois, du Morbier et du Bleu de Sassenage, accompagnés de miel au whisky japonais ou d'un miel à la bière.
En dessert, on m'a servi le chocolat Taïnori, poivre cubèbe et menthe. Originaire de République Dominicaine, le chocolat Taïnori, proposé en mousse assez compacte, offre des notes fruitées qui s'associent parfaitement avec le poivre malgache Voatsiperifery et ses arômes d'agrumes et de fleurs. La menthe apporte une belle fraîcheur et un mariage de saveurs superbe. Une belle réussite !
Edouard a eu droit à la poire William, réglisse et violette. Un esthétisme dans la lignée de l'entrée avec une poire pochée délicate, entourée d'une crème parfumée à la réglisse. Encore une fois un bel accord de saveurs pour un dessert délicat, frais et léger.
Après un début de repas déroutant, avec comme mise en bouche des tranches de pain et deux beurres aromatisés (un au café et l'autre au thé Matcha), nouvelle petite déception dans le final avec des mignardises assez basiques (mini-madeleines et petit beurre à la fève Tonka) pour des menus à plus de 100€.
Mon avis : le cadre est assez réussi même si le tout blanc peut donner un côté un peu aseptisé. Si le service est attentionné et efficace (avec un temps d'attente parfait entre les plats), il s'est révélé parfois légèrement maladroit (la palme revenant à l'un des serveurs qui m'a servi du Château Simone dans mon verre de Condrieu Petite Côte 2011 de chez Yves Cuilleron, sans autre réaction qu'un laconique "désolé"!). J'ai beaucoup aimé mon menu malgré quelques accrocs avec un vrai coup de coeur pour les Berlingots qui sont à tomber ! On a affaire à une vraie cuisine d'auteur avec de superbes produits et des accords tout aussi surprenants que savoureux. On est clairement dans une cuisine contemporaine, audacieuse, délicate et raffinée qui permettra aux parisiens d'avoir un avant-goût de la haute-gastronomie développée à Valence. Les prix restent néanmoins assez élevés quand on voit la forte concurrence parisienne.
La Dame de Pic
20 rue du Louvre - 75001 Paris
Tel : 01 42 60 40 40
http://www.ladamedepic.fr
ouvert tous les jours sauf le dimanche